C’est le genre de lecture qui ne peut laisser ni indemne, ni indifférent.e.s : en tant que femme, mais également en tant que citoyenne. Tout en me doutant qu’il ferait partie de la sélection du Grand Prix des lectrices Elle et que j’aurai donc forcément à le lire, j’avais extrêmement peur.

Je ressors de cette lecture avec une nausée persistante, un écœurement violent, contre tous ces gens qui auraient pu, à l’époque, faire quelque chose. Quelque chose contre un homme – j’ai du mal ici à ne pas employer un autre mot, commençant par un P, tant je me demande si celui dont on parle mérite encore cette qualification – qui a non seulement fait vivre l’enfer à des dizaines d’enfants et de jeunes filles en toute impunité pendant des décennies, mais s’en est en plus vanté dans ses livres en justifiant ses agissements par des recherches pour ses romans. Outre le dégoût, je ressens également une admiration sans borne pour Vanessa Springora. J’ai bien conscience que l’on peut m’accuser ici de verser dans le cliché… Mais je suis convaincue qu’il lui a fallu une quantité de courage in-quantifiable, pour réussir à élever sa voix et sa plume afin de raconter son histoire, pour réussir à enfermer son tortionnaire dans un livre, pour pouvoir se réapproprier sa vie.

À la question, la littérature excuse-t-elle tout ? Je réponds non, et je prie pour que ce genre de crime, tous milieux confondus, peu important les âges, genres ou les connaissances des bourreaux comme des victimes, devienne imprescriptible. Parce que la peine et la souffrance le sont, elles…

En tant que femme, citoyenne et éditrice de métier, je ne supporte pas l’idée que la Littérature ait pu, à cette époque, servir d’alibi à de tels agissements. Jeune fille, j’ai trouvé ma vocation dans l’amour des mots et je trouve que GM les a salis de la pire des manières.

Aujourd’hui, je n’espère qu’une chose : parce que la Littérature fait partie de la vie, lui donne un sens, et que le pouvoir des mots peut s’avérer le plus puissant de tous ; parce que les intellectuels et les livres ont le devoir de s’engager, parce que ce livre est un engagement en plus de posséder des qualités littéraires indéniables tant le ton est juste, j’espère qu’il recevra le Grand Prix des Lectrices Elle 2020, pour donner un message fort d’engagement, pour libérer la parole et les victimes, pour faire bouger les lignes, faire changer la honte de camp, et condamner les coupables !

Hier soir avait lieu la quarante-cinquième cérémonie des Césars. Quand on voit que Roman Polanski a reçu la récompense destinée au meilleur réalisateur, on ne peut que se dire que le chemin est encore long, dans tous les domaines… Alors pourvu que chacun apporte sa pierre à l’édifice : Vanessa Springora, elle, par ce livre, l’a fait de la plus belles des manières, en prenant son bourreau à son propre piège. Rien que pour cette raison, il est à lire, absolument. 

Une autre quête de reconstruction

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